Nina Gorlier, l’interview anniversaire

Au mois de juillet, La Bête du Bois Perdu a fêté son anniversaire ! A cette occasion, nous avons rencontré Nina Gorlier, l’auteure de cette revisite inattendue de La Belle et la Bête pour discuter de son rapport à l’écriture, aux contes et de son roman. Bonne lecture !

Avez-vous envoyé votre manuscrit à plusieurs maisons en parallèle de Magic Mirror ?

Non, car j’ai écrit ce roman spécialement pour Magic Mirror Editions. J’ai découvert ce merveilleux projet sur la chaîne YouTube de Sandy Ruperti, appelée alors Le Carnet Enchantée. Je me suis procurée la première publication Ronces blanches et Roses rouges de Laetitia Arnould que j’ai adoré. Je suis passionnée par les contes, les légendes et les récits mythologiques, alors la ligne éditoriale de Magic Mirror m’a tout de suite inspirée. Je savais que je faisais face à des personnes aussi passionnées que moi et je suis heureuse que mon roman ait pu tomber dans d’aussi bonnes mains.

Quel est le personnage de votre roman auquel vous êtes le plus attachée ?

Rose, sans aucun doute. Dès le début je savais qu’elle ne serait pas simplement la compagne de route de Sybil. Pour moi, elle est bien plus que ça car elle fait partie du cœur du roman. C’est un personnage naïf, innocent, rêveur et particulièrement honnête et pour cela je pense qu’elle représente l’enfance. Rose m’est venue à l’esprit comme une évidence, car elle est l’autre facette de Sybil. Elle est ses rêves et ses illusions. Sybil a besoin d’elle pour avancer dans sa quête. Elle est un peu sa lumière, son attache pour ne pas sombrer dans la folie.

Mais Rose poursuit également sa propre quête : retrouver sa mémoire. D’une certaine façon, elle est aussi le personnage principal de ce roman car c’est une héroïne ayant sa propre histoire. Elle représente une autre facette des contes. Contrairement à la Bête, elle incarne l’espoir, le bonheur et les merveilles. Le roman repose donc sur le lien si fort tissé entre elle et Sybil. Elles ont besoin l’une de l’autre pour accomplir leur destinée, quel qu’en soit le prix.

Celui qui vous a donné le plus de fil à retordre dans l’écriture ?

La Bête représente la peur. Or, c’était la première fois que j’écrivais une histoire aux tendances horrifiques. Lors de l’écriture, je me demandais tout le temps : comment faire frissonner le lecteur ? Je me suis basée sur mes propres épouvantes, plus particulièrement sur celles de mon enfance. Ce sont celles que l’on retrouve dans les contes et donc celles propres aux enfants qui demeurent encore en nous une fois adultes : le peur de l’inconnu, la peur des ténèbres, la peur d’être dévoré…

La Bête est un être pluriel, changeant. Il se transforme en fonction de sa victime. Ce monstre peut se faire séducteur et rassurant, mais aussi incarner vos pires tourments. Très vite, j’ai compris que je ne pouvais pas lui donner une description précise car chacun envisage la peur à sa façon. La Bête se marie donc aux ténèbres, c’est une voix sortie de l’ombre, une silhouette suggérée qui vous épie de ses yeux jaunes… Lorsque Sybil lui fait face, elle lui apparaît comme sa plus grande peur, une émotion viscérale qui la paralyse. L’objectif, c’était au lecteur de se l’imaginer comme sa plus grande peur à lui.

Par extension, je considère la forêt comme un personnage. Ces Bois Perdus font partie de la Bête. Ils sont manipulateurs, trompeurs et se transforment au fil de l’intrigue. La forêt réagit avec et contre les personnages, comme si elle avait sa propre volonté. Elle est donc indissociable de la Bête et de cette peur sourde. J’ai beaucoup travaillé l’ambiance tantôt merveilleuse, tantôt effroyable des bois. Je me suis basée sur mes propres promenades en forêt et sur les sensations que j’éprouvais. Quand je pars en randonnée, le temps s’arrête autour de moi et je suis dans un autre monde. C’est ce que je voulais restituer dans mon roman.

Si vous pouviez discuter 1h avec un de vos personnages, ce serait lequel et que lui diriez-vous ?

Difficile de choisir ! Les personnages sont une création de mon esprit mais aussi de mon cœur, d’une certaine façon ils ont tous une part de moi. Quand on passe tant d’heures en leur compagnie, on s’attache à eux, même aux plus horribles.

L’autrice que je suis aurait tendance à répondre Espérance, puisqu’il écrit lui aussi. Il symbolise le pouvoir des mots et de la création, ce qui est une métaphore des contes et de ma propre activité d’écriture. Sur ce point-là, on pourrait se comprendre, mais sur d’autres un peu moins… C’est un personnage complexe, à la fois prince et monstre, victime et bourreau… Une heure ne serait pas suffisant, il faudrait beaucoup plus de temps pour répondre à cette question : mérite-t-il son sort ? Vous allez me dire, je suis sa créatrice, je devrais le savoir. Mais je ne voulais pas de réponse toute faite. J’ai posé la question, à chaque lecteur d’y apporté sa réponse.

La fillette en moi choisit donc de répondre Sybil. Car Sybil c’est la petite fille perdue dans les bois, que la Bête guette pour la dévorer, après avoir joué avec elle. Elle est habillée d’un chaperon noir cette fois, car elle porte le deuil. Elle a perdu sa maman. Elle est désemparée, terriblement seule et surtout, elle se sent coupable. Elle finit par comprendre que la Bête ne symbolise pas seulement sa peur, mais aussi sa culpabilité. Vaincre la Bête, c’est réussir à faire son deuil.

J’ai tendance à torturer mes héroïnes. Je leur fais subir de terribles épreuves dont elles s’en sortent toujours plus fortes. Mais si j’avais une heure à passer avec Sybil, je lui présenterais mes excuses. Je serais à son écoute pour qu’elle puisse se confier sur sa douleur, sa peur, mais aussi ses rêves d’une vie meilleure. C’est un personnage solitaire qui a tout intériorisé, ce qui l’a fait souffrir. Comme Rose, je l’aiderais à trouver son chemin. Mais surtout, je la prendrais dans mes bras pour lui dire qu’au bout du compte/conte, elle finira par sortir de cette forêt et que tout ira mieux.

Qu’est-ce qui vous donne envie de vous prêter à l’exercice des réécritures de contes ?

Selon moi, réécrire un conte, c’est perpétuer une longue tradition. Pendant longtemps, les contes étaient de tradition orale. On se les racontait au coin du feu, on se les transmettait de générations en générations, de village en village. Au fil du temps, ces récits ont évolués, ils se sont transformés avec leurs conteurs. Voilà pourquoi ils existent plusieurs variantes de ces contes si populaires.

Chez Perrault, Cendrillon a une bonne fée comme marraine et une citrouille comme carrosse. Chez les Frères Grimm, rien de tout ça ! Elle doit sa robe à l’esprit de sa défunte mère tandis que le prince enduit les escaliers de colle pour la retenir. Mais connaissez-vous la version italienne de Cendrillon ? C’est La Chatte Cendreuse de Basile Giambattista. Dans cette version, Zezolla tue sa première belle-mère en lui brisant le cou. Elle est aidée par sa préceptrice. Celle-ci épouse le père de Zezolla et devient donc la seconde belle-mère, celle que nous connaissons tous. Une version bien plus sombre, donc !

Perrault, Madame d’Aulnoy, les Frères Grimm, Andersen… Ils ont fixé à l’écrit ces contes et leur ont donné une forme « stable ». C’est celles-ci que nous connaissons aujourd’hui, car elles furent reprises de nombreuses fois, par exemple par les studios Disney. Réécrire ces contes, c’est de nouveau les faire évoluer, les transformer, leur apporter une nouvelle vision. Autrefois, chaque conteur se les appropriait, aujourd’hui c’est au tour des auteurs. Voilà pourquoi ces récits resteront intemporels.

Que pensez-vous de la production autour des réécritures de contes en général ? (cinéma etc.)

J’essaye de plus en plus de découvrir de nouvelles réécritures de contes. Si on veut travailler dans un domaine, il est important de voir ce qu’il s’y fait déjà. Mais c’est aussi par passion. De mon point de vue de lectrice, Magic Mirror est donc la maison d’édition parfaite ! Si je devais vous conseiller des réécritures de conte, je dirais les deux premiers tomes de la saga Le Sorceleur d’Andrzej Sapkowski. Ce sont des recueils de nouvelles introduisant la saga qui, elle, débute véritablement dans le tome 3. Vous pouvez donc lire ces nouvelles sans vraiment vous « engager » si les sagas vous vont peur. Un Grain de vérité est une réécriture intéressante de La Belle et la Bête, mais je vous conseille surtout Le Moindre Mal (une réécriture de Blanche-Neige qui m’a profondément marqué en détruisant le manichéisme habituel des contes) et Une Once d’abnégation (une histoire d’amour impossible mise en parallèle avec le mythe de La Petite Sirène).

Du côté du cinéma, j’adore les films adaptant les contes en mettant l’accent sur leur côté sombre propre aux versions originales. Même s’il n’est pas exempt de défauts, j’apprécie beaucoup Blanche-Neige et le Chasseur. Dans le même genre, il existe une version un peu horrifique de Blanche-Neige : c’est la version de 1997 avec Sigourney Weaver dans le rôle de la Reine. Je vous conseille encore le somptueux et étrange Tale of Tales (2015) de Matteo Garrone qui adapte le Pantamerone de Giambattista Basile (tiens encore lui) ou encore le magnifique et tragique Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro. Pour continuer dans le côté sombre, voire macabre, j’ai un plaisir coupable pour le jeu vidéo Alice : Retour au Pays de la Folie. C’est une suite horrifique d’Alice au Pays des Merveilles où la jeune fille, après avoir perdu tragiquement toute sa famille, sombre dans la folie. Le Pays des Merveilles se transforme donc en pays des cauchemars. L’histoire aborde des sujets dérangeants, mais adapte de façon pertinente l’univers si particulier de Lewis Carroll. Chaque décor, chaque détail est un clin d’œil à l’œuvre original. Une merveille, sans mauvais jeu de mots !

Afin, je citerai deux des meilleures adaptations. Le Peau d’âne de Jacques Demy a bercé mon enfance (j’ai dû le racheter en DVD après avoir trop usé la cassette). C’est une magnifique comédie musicale, un bonbon acidulé et un voyage aux pays des contes de fées. Dans un registre toute autre, je vous conseille AI : Intelligence Artificielle, une réécriture de Pinocchio signée Steven Spielberg et Stanley Kubrick. Un petit robot rêve de devenir un véritable petit garçon pour retrouver sa maman. Il s’agit sans doute d’un des films qui m’a fait le plus pleurer.

Retrouvez Le Bête du Bois Perdu 

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